LA RUE XAVIER GOÛT

Son Histoire et souvenirs de jeunesse d’un ancien résident

Nombreux sont les anciens avronnais qui régulièrement nous font part de leurs souvenirs en quelques lignes . On les retrouve dans la rubrique « Infos et Anecdotes avronnaises » . Certains de ces souvenirs sont l’expression d’une véritable « Tranche de Vie Avronnaise »  et méritent un page spéciale car leurs auteurs ont pris la peine de nous les écrire avec beaucoup de détails . C’est le cas de Robert MOLOGNI ( dit Kiki pour les anciens …) issu d’une vieille famille rital d’Avron qui nous parle de la vie dans la Rue Xavier Goût ou étaient regroupées des familles d’immigrés italiens , et de l’épisode de l’exode qu’il a connue à l’entrée de la guerre en 1940 .

Nous reprenons donc dans cette page l’intégralité du courrier qu’il nous a fait parvenir . Il a également établi un plan manuscrit qui permet de bien suivre ses explications .

PLAN DE LA RUE établi par Robert Mologni , d’après ses souvenirs

LA VIE RUE XAVIER GOÛT (*) DE 1930 à 1950

«  Je suis né en 1929 au 11 Rue Xavier Goût dans une famille d’immigrés italiens qui compta 7 enfants ( il n’y en a encore que 5 sur la photo ci contre… N’en comptez pas 6 car dans les bras de mon père ..c’est un petit chien …) Je suis resté dans cette maison jusqu’en 1968 époque à laquelle j’ai quitté le  Plateau d’Avron pour habiter Gagny .

Je vais essayer de vous décrire cette rue sur la période de 1930 à  1950, époque à laquelle je suis parti faire mon service militaire. Mes souvenirs seront plus précis sur ma période  scolaire avronnaise ( 1935 / 1943) , autrement dit jusqu’à mes 14 ans , âge ou l’on passait le certificat d’études ….pour aller ensuite travailler .

Ce sont des souvenirs d’adolescents qui témoignent d’une période qui m’a laissé en mémoire de très bons souvenirs.

En descendant ,en venant de la Grande Rue ( aujourd’hui Ave Daniel Perdrigé) , il y avait à gauche 6 maisons dans lesquelles habitaient 14 adultes et 35 enfants et sur la droite il y avait 8 maisons, 15 adultes et 15 enfants . Pour l’essentiel ces familles étaient d’origine italienne ( région de Bergamo/Valle Sériana). Les pères travaillaient généralement dans les carrières sous le Plateau d’Avron et les mères ( la « mamma » ) en dehors de s’occuper de leur nombreux enfants assuraient différentes tâches ( femmes de ménage et autres petits boulots ...) qui complétaient des revenus très modestes . C’était une véritable communauté franco-italienne qui vivait là dans cette rue . Les maisons étaient très rustiques , sans eau , sans commodités ….et au début, pour beaucoup d’entre elles , sans électricité. Bien intégrés nos parents ne se plaignaient de rien. Les jardins étaient cultivés et beaucoup de familles avaient un clapier et un poulailler ce qui permettait souvent d’assurer l’ordinaire .

Les familles étaient généralement « nombreuses » : Triquet 6 enfants, Mologni 7 enfants , Bosio 8 enfants , Anger 5 enfants , Zani5 enfants , Gardoni 3 enfants, Biava 3 enfants , Bridier 3 enfants , St Jalmes 3 enfant, Bertuzzi 2 enfants , Paganessi 2 enfants, , Hénoque 2 enfants . Les plus âgés s’occupaient souvent des plus jeunes , ce qui renforçait la solidarité familiale . Compte tenu de ces nombreux enfants …il y avait à l’école un enfant ou deux dans chacune des classes depuis la maternelle jusqu’à la classe du certificat d’études…sur plusieurs générations …. Avec tous ces enfants , la Rue Xavier Goût était particulièrement vivante et animée . ….

Aujourd’hui dans cette rue il y a 23 maisons essentiellement modernes, construites sur celles qui abritaient les familles Bosio, Biava , Bridier-Triquet. D’autres anciennes maisons ont fait l’objet d’importants travaux de rénovation . Sur un terrain qui était cultivé a été bâti en 1957 au N° 20 , le pavillon de la famille Fabris ( entre les familles Anger et Gardoni ) . A partir du début des années 1960 une entreprise locale de bâtiment appartenant à un italien ( Vescovi) a construit une série de pavillons neufs retirant un peu tout son charme de vieille rue à cette voie mal empierrée …qui n’a été goudronnée que dans la fin des années 1960 . Deux de mes frères ont travaillé dans l’ entreprise Vescovi avec un autre avronnais Robert Garancher , fils d’un des fermiers du plateau d’Avron , fermier bien connu à l’époque dont l’exploitation se trouvait derrière les pavillons à l’endroit de l’actuelle Allée des Mésanges .

Le pavillon Anger au N° 18 qui est en l’état de l’époque ( voir photo ci contre) est demeuré dans la famille . Il est occupé par la dernière descendante , depuis sa naissance , Denise Anger . Le pavillon Gardoni est également demeuré dans la famille et est toujours occupé par des membres de celle-ci ( enfants et petits enfants) . La maison Mologni a été reprise par l’une des filles de la famille Bosio ( Monique ,aujourd’hui décédée) et est toujours occupée par son mari (Michel Dupont) . La famille Rizzi a laissé la place à la famille Lunini , dont le nom est bien connu sur le Plateau d’Avron ( la fille aînée, Julia ,mariée à un des fils Triquet … qui habitait la même rue , a travaillé comme femme de service à la maternelle d’Avron et le fils Angélo a exploité localement une entreprise de maçonnerie reprise aujourd’hui par son fils ). Quant à la famille Triquet avec ses 7 enfants elle est aussi très connue , notamment par son dernier représentant vivant sur Avron , Roland , qui fut un honorable coureur cycliste .

Entre la Rue Xavier Goût et l’Avenue Aristide Briand il y avait une grande bâtisse qui portaient plusieurs dénomination (par exemple : la maison du curé …) mais la plus connue de toutes était celle de : « le château » . Dans ce « château » et dans les dépendances attenantes vivaient 7 familles avec 19 enfants . Dans la cour de cet ensemble (cour connue sous le nom de « la cour des miracles » en raison de son état miséreux), se trouvait un robinet ou la plupart des habitants de la rue Xavier Goût venaient avec des seaux s’approvisionner en eau par un petit passage qui reliait les 2 rues . Avant la mise en place de ce robinet , il fallait « aller à l’eau » à une fontaine qui se trouvait en face l’actuelle boucherie Gaucher , sur la Place des Fêtes ( aujourd’hui place Stalingrad,). Cette fontaine servait au bouilleur de cru pour son alambic …..eau indispensable pour distiller les fruits de leurs vergers qu’apportaient les avronnais pour faire le marc local . La photo ci contre date du début des années 1960 et on y voit encore ce « château » , au bout de la flèche blanche , mais à l’angle de la rue Xavier Goût qui est au centre de la photo ,il n’y a déjà plus les classes en bois . On remarquera tous les terrains non construits et notamment ceux de l’angle occupés aujourd’hui par la mairie annexe et la pharmacie .

Dans « le château »   et sa « cour des miracles » on trouvaient les familles Goudard, Barbier , Perez , Melosso , Lanfranchi , Covelli Jean et Covelli Pierre. Le château a été démoli dans le milieu des années 1960 par l’entreprise Vescovi pour y construire ( 22 Ave Aristide Briand ) un pavillon pour la famille Fieschi ( corse et non italien …) .Cette famille est bien connue sur Avron , Madame ayant été l’institutrice de plusieurs générations de jeunes avronnais .

A l’angle de la Grande Rue ( Daniel Perdrigé aujourd’hui) et de la rue Xavier Goût il y avait une annexe de l’école . C’était deux classes en bois, construites sur pilotis comme les 2 latrines situées dans la cour . Dans un angle de cette cour un coin avait été réservé pour que les habitants viennent y déposer leurs vieilles ferrailles. ( voir le plan) Comme nous étions en pleine guerre ces ferrailles étaient récupérées pour , disait-on, servir aux usines d’armement …. …. A l’autre angle , ou se trouve l’actuelle mairie annexe, il y avait un pré ou une famille de nomades , les Zahra , vivant en caravane s’était sédentarisée pendant quelques années. La fille Zahra était une très belle fille qui faisait se pâmer les soupirants … A coté , en avançant dans la rue se trouvait le pavillon de la Famille Hénoque avec 2 filles . Cette famille a été bien connue par la suite par plusieurs générations de petits avronnais , pour avoir été sur 2 générations cantinières et gardiennes de l’école . Paulette , la dernière de ces deux filles est décédée en 2007 . Le pavillon existe toujours .

Une fois par semaine une commerçante ambulante italienne de la même région que la plupart des résidents , venait dans la rue Xavier Goût , avec sa charrette à cheval approvisionner ses congénères en produits italiens ( pâtes , farine de maïs pour la polenta , charcuterie …fruits ). Elle était veuve avec 4 enfants , son mari était mort dans les carrières et c’était son seul moyen d’existence . Elle était connue sous le nom de «  La Carrère » ( diminutif de son nom Carrara , grand-mère de Charles Vavassori) . »

ooo 0 ooo

(*) Xavier Goût était le propriétaire d’un grand terrain qu’il avait loti en parcelles à la fin du 19 ème siècle et son nom fut naturellement donné au « chemin empierré » qui desservait ces lots . Plusieurs grands propriétaires de la fin du 19 ème siècle avaient fait de même sous l’impulsion d’une agence immobilière qui lotissait l’ensemble du Plateau d’Avron . Il en a été ainsi des rues Médar ou Michelin . Ces rues qui portent le nom du propriétaires du terrain loti , sont toujours aujourd’hui des rues de statut privé .

ooo 0 ooo

SOUVENIRS DU DEBUT 1940 : L’ E X O D E

« A l’entrée des troupes allemandes en France , tout le monde avait peur et fuyait pour la plupart vers le sud de la France , emportant seulement quelques affaires en laissant leurs maisons ouvertes.

Nos voisins , Mrs Bridier et Saint Jalmes travaillaient dans les carrières Aubry à Gagny . ; Mr Bridier livrait le plâtre avec un gros camion . Il avait pu obtenir de son patron le prêt du camion pour qu’il parte avec sa famille. Mr et Mme Bridier , Mme Saint Jalmes et Mme Mologni , ma mère, embarquèrent avec la marmaille ( 13 enfants au total ) et le minimum de bagages, car avec tout ces passagers il n’y avait plus de beaucoup de place .

Mr Saint Jalmes et mon père, eux , partirent avec une charrette attelée à 2 chevaux de trait servant dans la carrière et dont ils avaient également pu obtenir le prêt . Sur la charrette avait été embarqué le plus gros des affaires emportées . Tout le monde devait se retrouver dans une ferme d’un village près de Montargis, ,. Le voyage a duré plusieurs jours dans une pagaille indescriptible sur les routes encombrées de personnes qui fuyaient à pieds certains poussant des lendeaux ou des poussettes , d’autres en vélo ou en voiture de toutes sortes et de toutes époques ..surchargées de tout un ensemble hétéroclite ( matelas , chaises , valises etc …) Il y avait aussi des groupes de soldats fuyant à la recherche de leurs officiers et de leur régiment en débâcle .

Arrivé dans le village dont je ne me souviens plus du nom, nous nous sommes installés dans la ferme ….vide de leurs occupants qui eux-mêmes avaient fui laissant tout ouvert. Le bétail , abandonné , errait en liberté .

Nous n’étions pas les seul avoir eu l’idée de descendre plus au Sud …les Allemands aussi , car quelques jours après notre arrivée, ils étaient là !! Nous sommes restés dans cette ferme un certain temps puis ne voyant pas arriver Mr Saint Jalmes et mon père avec la charrette , les chevaux…et les bagages , la décision a été prise par les adultes de revenir au Plateau d’Avron .

Après plusieurs jours de route sous le contrôle permanent de l’armée allemande , nous sommes arrivés enfin au pied de « notre » Plateau . En bas de la côte des Fauvettes , là ou se trouve l’actuel arrêt du bus , on a aperçu un petit homme qui montait lentement avec un baluchon sur l’épaule et dont la silhouette ne nous était pas inconnue . Arrivé à sa hauteur on a reconnu mon père , avec une barbe pas possible et les yeux rougis par l’inquiétude et le manque de sommeil . Après les effusions et la joie des retrouvailles de sa femme et de ses enfants il nous raconta qu’ils avaient été pris sous des bombardements sur la route avant Montargis. Mr Saint Jalmes et les chevaux avaient été tués et il était le seul rescapé . Ne sachant plus ou aller il avait alors décidé que le mieux serait de rentrer de là d’où il était parti : le Plateau d’Avron car c’est là qu’il y avait le plus de chance que l’on se retrouve . Ce fut le cas.

Quant à Mr Bridier, le seul homme de notre expédition, qui nous avait véhiculé avec les 13 enfants avec son camion , il fut tué par les Allemands dans les environs de Chelles avec un groupe de résistants ».

ooo 0 ooo

Une véritable « Tranche de Vie Avronnaise » ….Merci à Robert Mologni pour nous avoir livré ces souvenirs qui permettront à quelques anciens de revivre cette époque et pour lesquels les noms cités évoqueront d’autres souvenirs que peut-être , un jour , ils nous confieront….. Cela permettra aussi aux plus jeunes de faire connaissance avec « l’ancienne » rue Xavier Goût .

Vous qui lisez cette page qui réveillera en vous des souvenirs ou des anecdotes que vous souhaitez évoquer à propos de la vie sur Avron dans votre jeunesse , , continuez à nous écrire. ( Charles Vavassori 7 Impasse de l’Aubépine . Le Plateau d’Avron . 93110 Rosny sous Bois )

Page précédente : Jacques Arne et Louisette nous ont quitté

  Sommaire

Page suivante : un ancien champion de boxe